Le contentieux des rendez-vous en Préfecture pour les étrangers
Où en sommes-nous dans les prises de rendez-vous en Préfectures pour les étrangers, que ce soit pour une demande de régularisation ou pour un renouvellement de leurs titres de séjour ?
On serait presque nostalgique des longues files d’attentes, d’avant le Covid, d’étrangers désireux de déposer une demande de régularisation, qui se formaient dès 22 heures pour faire partie, au matin des 10 ou 20 premiers dossiers qui seraient retenus. Nostalgique? non! Toutefois, quand certains louaient les services de personnes pour faire la queue à leur place ou pire encore, tenaient dans leur bras un bébé qui n’était pas le leur pour passer en priorité.
Depuis 2016, la réforme tendant à la dématérialisation des services publics n’a finalement pas simplifié le processus de prise de rendez-vous.
Les Préfectures ont fermé leurs portes au public au printemps 2020 et les rendez-vous devaient être pris via internet, sans réelle possibilité puisque, malgré des centaines d’essais les demandeurs ne trouvaient aucun créneau disponible quelque soit le jour ou l’heure.
S’en est suivie la création de sites payants, et à ce jour légaux, de prises de rendez-vous. Des informaticiens malins, moyennant une somme de 150€ environ, faisaient déclencher une sonnerie dès qu’une place se libérait.
A ce jour trois sites de ce type existent sur internet mais la loi de l’offre et la demande a généré traffic et marché noir.
Les rendez-vous se négociaient pour 200€ puis 600€ puis 1500€, les vrais et les faux, au vu et au su des agents de la Préfecture.
Si les informaticiens sont malins. les avocats sont parfois inventifs et ont déposé auprès de tribunaux administratifs des demandes de rendez-vous en Préfecture par la voie de « référé aux fins de mesures utiles ». Et les juges ont suivi, avec des règles variables selon les tribunaux.
Pour certains ( tribunal administratif de Montreuil) il faut justifier de connexions personnelles sur internet durant au moins trois mois et une lettre recommandée au Préfet, d’autres comme le tribunal administratif de Paris ne demandent pas de preuves de la connexion personnelle du requérant au site rendez-vous de la Préfecture.
Le Conseil d’état s’est prononcé à plusieurs reprises en la matière :
- Arrêt du Conseil d’État du 1.7.2020 : Si le rendez-vous fixé par la Préfecture est trop éloigné, le juge administratif, au vu de la situation personnelle du demandeur, saisi dans le cadre d’un référé-mesures-utiles (RMU) peut ordonner que la date de rendez-vous soit rapprochée.
- Arrêt du Conseil d’État du 18.2.2022 : Si la catégorie de demande de titre de séjour ne figure pas sur le formulaire de la Préfecture, le tribunal peut demander au Préfet de fixer une date.
Les arguments liés à l’urgence
L’article L521-3 du Code de justice administrative dispose qu :“en cas d’urgence est sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative.”
Dans un arrêt récent du 9 juin 2022, le Conseil d’État souligne que pour obtenir du juge des référés qu’il enjoigne au préfet de communiquer à l’étranger une date de rendez-vous, il est nécessaire de caractériser une urgence en prenant en compte l’incidence immédiate et directe du dysfonctionnement de la plateforme de prise de rendez-vous sur la situation de l’intéressé. Si le Conseil d’État considère que la condition d’urgence est « en principe constatée dans le cas d’une demande de renouvellement d’un titre de séjour », il estime toutefois que « dans les autres cas, il appartient au requérant de justifier de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui d’obtenir rapidement ce rendez-vous » (CE, 2ème et 7ème chambres réunies, 9 juin 2022, n° 453391).
Pour caractériser l’urgence, il faut alors démontrer l’existence de « circonstances particulières » qui la caractérisent.
Par ailleurs, selon la jurisprudence constante du Conseil d’Etat, Sect., 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, n°228815, la condition d’urgence peut être considérée comme remplie, lorsqu’il est porté atteinte, « d’une manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ».
Les arguments liés à l’utilité
Selon une jurisprudence constante, la mesure doit être utile à la situation du requérant qui l’invoque (CE, 3 mars 2008, Min. de la défense c/Cne d’Aiguines). De fait, il n’est pas très difficile de caractériser l’utilité surtout dans l’hypothèse d’une renouvellement de carte de séjour vie privée et familiale ou carte de séjour salarié. L’utilité est plus difficile à démontrer dans l’hypothèse de renouvellement d’autres types de carte de séjour.
Ce contentieux des rendez-vous en préfecture est devenu obèse présentant une augmentation sans précédent des réclamations.
Le défenseur des droits a alerté très régulièrement dans ses rapports le gouvernement sur la situation kafkaïenne à laquelle les étrangers demandeurs de titres de séjour se trouvaient confrontés mais sans avoir un pouvoir coercitif.
Les difficultés engendrées par le défaut de rendez-vous en Préfecture pour obtenir une régularisation ou un renouvellement des titres de séjour engendrent des ruptures de droit qui elles-mêmes sont à l’origine d’autres procédures ayant pour objet des licenciements, des défauts de paiements de loyers ou contentieux CAF par exemple.
Cet état de fait contribue également à ralentir la reprise économique alors que nombre de postes vacants pourraient être occupés par des étrangers s’ils étaient régularisés, notamment dans les domaines de l’aide à la personne, de la restauration, de l’hôtellerie et du bâtiment.
On constate cependant que les Préfectures modifient très régulièrement leurs procédures d’accès aux rendez-vous voire la manière dont les dossiers sont traités et il convient de se renseigner avant toute démarche auprès des personnes compétentes.
Maître Corinne Giudicelli-Jahn